Joliebulle, c'est aussi un p'tit livre de recettes qui vient de sortir.

Le trub : pourquoi tout le monde le déteste

#levures
#fermentation
2021-01-01 (dernière édition)

Le trub, c’est cet agglomérat de protéines, de tanins, de lipides et de résidus divers que l’on retrouve au fond de la cuve d’ébullition après refroidissement.
Les brasseurs amateurs se donnent généralement du mal pour séparer ce trub du reste du moût avant le transfert dans le fermenteur.

Séparer le moût «propre» et les déchets liés à l’ébullition, c’est du bon sens non ?
Et pourtant… ce n’est pas aussi simple.
La littérature scientifique sur le sujet est mince. La principale étude date 1982, et ce que j’ai lu de plus récent n’apporte pas grand chose : Wort Trub Content and its Effects on Fermentation and Beer Flavor: Journal of the American Society of Brewing Chemists: Vol 40, No 2.

Cette étude a le mérite de proposer des mesures chiffrées de certains paramètres clés (que l’on va détailler plus bas), mais en contrepartie le protocole expérimental est peu détaillé (notamment les caractéristiques du moût, la levure utilisée, le taux d’ensemencement, et la méthodologie pour la dégustation…).

Une autre source, plus directement liée au monde du brassage amateur et artisanal, c’est Brulosophy. Plusieurs expérimentations sur le trub ont été menés : http://brulosophy.com/?s=trub.
Ces essais sont simples voire simplistes, il n’y a pas de chromatographie, mais la transparence de la méthodologie et l’effort de réplication sont très appréciables.

Voici ce que l’on peut retirer de tout ça.

Effet sur la clarification. Je commence par le plus visible. Et le plus contre-intuitif.
Sur tous les essais que j’ai pu lire, le trub permet une meilleure clarification. Les essais de Brulosophy sont illustrés et assez marquants. Le trub favorise probablement la floculation des levures, avec toutefois des différences selon les souches utilisées d’après Wyeast, ce qui est un des mécanismes possibles pour expliquer cette meilleure clarification.

Production d’esters et de fusels. Là non plus ce n’est pas intuitif. L’étude de Schisler et al. retrouve une diminution très marquée des esters, et une augmentation modeste des fusels.

Effets sur la cinétique de la fermentation. Toujours selon Schisler et al. : la présence du trub augmente l’activité des levures et la fermentation est plus rapide. Le nombre de cellules en suspension est plus élevé, puis s’effondre plus rapidement, ce qui est concordant avec l’observation précédente qui va dans le sens d’une meilleure floculation / clarification.

trub et évolution de l'attenuation

Au final le profil de fermentation du moût «high trub» est très proche de celui du moût «low trub + haute oxygénation».

Les auteurs de l’étude relèvent donc que la présence du trub stimule l’activité de la levure de façon similaire à l’oxygénation du moût.
Dans le premier cas, la cellule utilise les acides gras du trub pour sa croissance et les activités métaboliques impliquant sa membrane.
Dans le second cas, la cellule utilise l’oxygène disponible pour synthétiser les acides gras dont elle a besoin.

A noter au passage, le résultat moins d’esters - plus de fusels (qu’on retrouve dans la partie de l’étude high trub) correspond à un milieu de fermentation riche en oxygène selon Zainasheff et White (Yeast, p280), ce qui renforce l’idée qu’oxygène et trub vont avoir un effet similaire sur l’activité de la levure.

A noter aussi, l’étude de Kuhbeck (2007), qui retrouve des résultats assez similaires, et qui avance comme explication alternative ou complémentaire l’effet de la présence de particules qui agiraient comme sites de nucléation pour le CO2. La diminution du CO2 dissous améliorerait le métabolisme des levures, d’où une fermentation accélérée.

Dégustations. C’est un peu le point faible de l’étude de Schisler et al. : la dégustation montre une préférence claire pour la bière sans trub, mais on ne sait pas qui teste ni dans quelles conditions : combien d’échantillons, combien de testeurs, test en aveugle ou pas. En fait, on ne sait même pas quel genre de bière a été brassée. C’est léger.
Pour avoir un point de repère, je me tourne donc plus volontiers vers Brulosophy. Sur l’ensemble des expériences, voici ce que je retiens :

  • globalement, le trub améliore la clarification
  • gustativement, selon les brassins, on ne retrouve pas toujours une différence entre le procédé «haut trub» et le procédé «bas trub». Quand une différence est retrouvée, les testeurs ont des avis partagés et il n’y a pas de tendance claire, juste des préférences individuelles. D’une façon générale, les avis et tests collent bien avec les mesures expérimentales qui rapportent moins d’esters.

Mon expérience. J’ai expérimenté 4 brassins avec l’intégralité du trub en fermentation initiale puis transfert «propre» dans une seconde cuve après la phase tumultueuse. Sur les quatre, la clarification est excellente. Je ne retrouve aucun faux goûts. Il s’agissait de brassins uniques, donc je n’ai pas de base de comparaison. Mais en tout cas, pas de défaut rédhibitoire avec ce procédé, et pas de faux-goût perceptible.
Faites-en ce que vous voulez :)

En pratique. Avec tout ça, on est obligé d’avoir un avis nuancé sur la question.

L’oxygénation du moût, qui fait partie des bonnes pratiques, est rarement optimale chez les brasseurs amateurs et chez les artisans qui ne disposent pas du matériel adapté.

Dans ce contexte, l’élimination obsessionnelle du trub a toutes les chances d’être contre-productive pour l’activité des levures. Il y aura probablement aussi , paradoxalement, des effets adverses sur la clarification (à nuancer peut-être selon la souche de levures).

Sur le plan gustatif, sans test comparatif sur des recettes similaires, il n’y a probablement pas non plus de bénéfice prévisible à l’élimination du trub.

Par contre, conserver tout ou partie du trub implique à mon avis l’usage d’un filtre à houblon (type hop spider par exemple) pour s’épargner quelques questionnements supplémentaires sur le temps de contact prolongé des particules de houblon.
Le transfert intégral du trub est probablement aussi une très mauvaise idée en cas de récolte des levures en fond de fermenteur.

Je termine avec la conclusion de l’article de Kuhbaeck que j’ai cité plus haut :

Our trials confirm that excessively bright worts are detrimental to fermentation performance and might therefore also be detrimental to final beer quality.

Traduction par moi-même :

Notre essai confirme que des moûts excessivement clarifiés sont préjudiciables à la performance de la fermentation et pourraient par conséquent être aussi préjudiciable à la qualité finale de la bière.