Joliebulle, c'est aussi un p'tit livre de recettes qui vient de sortir.

Floculation : quand les levures coopèrent

#levures
2021-10-26 (dernière édition)

Un bon petit sujet de brassage comme on les aime : à l'intersection de la biologie et de ce que l'on observe quand on met le nez dans la cuve.

Comme souvent avec nos levures.

La floculation…

C’est le comportement d'adhérence des cellules entre elles, pour former des agrégats plus ou moins importants.

Pourquoi les levures adoptent ce comportement ?

Pour se protéger et coopérer.

Les cellules au milieu de l’agrégat sont protégées des stress de leur environnement.

Ce qui ressemble à un comportement social.

Un peu comme les manchots empereurs par exemple, qui se regroupent pour protéger du froid l’intérieur du groupe…

Pour les cellules, c’est un compromis.

Elles coopèrent entre elles pour mieux se protéger.

Mais en même temps, elles ont moins accès à l’oxygène et aux nutriments.

Donc la croissance est moins rapide.

Et quand la floculation commence...

Dans un premier temps, ces «radeaux» de levures vont être portés en surface par les bulles de CO2. Cette présence de levures en surface caractérise les «fermentations hautes» et permet le top-cropping, une technique de récupération de levures très viables et peu contaminées par le trub.

Dans un second temps, les agrégats vont sédimenter et la bière va se clarifier, ce qui est une caractéristique désirable pour la plupart des styles de bière.

Mais le comportement de ces radeaux de levures dépend aussi du type de levure : c’est ce qui distingue la fermentation haute (les agrégats remontent à la surface) des fermentations basses (les agrégats ont tendance à couler).

Au niveau de la cellule…

La floculation dépend de l’expression d’un ensemble de gènes : les gènes FLO.

Ces gènes codent pour une famille de protéines, les floculines, qui vont se retrouver dans la membrane cellulaire.

Ce sont ces protéines qui vont permettre le comportement d’adhérence, et la reconnaissance des cellules entre elles : je vous passe le détail.

Le truc important à avoir en tête, c’est que c’est une famille de gènes très instable.

Ils vont beaucoup varier entre souches de levures, et entre les générations d’une même souche.

Ensuite, l’expression des gènes et donc le niveau de floculines va dépendre de facteurs environnementaux.

Je vous disais que la floculation protège les cellules des stress extérieurs.

Sans surprise, ce sont ces stress qui vont augmenter le niveau de floculines : le niveau d’éthanol par exemple, ou la baisse des nutriments.

Et c’est ce qui se passe pendant la fermentation :

  • les levures produisent de l’éthanol et consomment les ressources du moût,
  • ce qui induit la production de floculines qui vont permettre la floculation,
  • le niveau de sucres résiduels diminue. Et oui. J’avais oublié de vous en parler. Les sucres du moût ont tendance à neutraliser les floculines. Du coup, quand le moût est encore riche en surcres, la floculation est plus difficile.

Il y a un dernier petit point…

Les floculines sont des protéines.

Et pour que ces protéines soient fonctionnelles, il faut qu’elles aient une conformation particulière. Une forme particulière en 3D.

Et pour obtenir cette conformation, il faut…

Du calcium.

Le point important ici : la qualité de la floculation demande une quantité suffisante de calcium dans le moût. Et donc, dans l’eau de brassage.

On arrête là pour l’aspect théorique.

Remettons le nez dans notre cuve de fermentation.

Une floculation élevée induit un temps de travail plus court des levures, et donc une capacité d’atténuation plus basse, un risque d’arrêt de la fermentation, et surtout le maintien de haut niveaux d’esters et de diacétyl.

Et il faut parfois remettre la levure en suspension pour finir la fermentation.

C’est le cas des souches de levures classiques britanniques, dont la récolte par top cropping a sélectionné les cultures les plus floculantes. Exemples : S-04, British Ale, London ESB…

Les forums sont remplis de témoignages de brasseurs qui galèrent avec ces levures.

Le cas typique, c’est une fermentation incomplète puis une reprise de la fermentation après l’embouteillage (qui entraine la remise en suspension des levures). Avec à la clé des sur-carbonatations plus ou moins catastrophiques.

Maintenant vous savez pourquoi.

Une floculation moins marquée permet aux levures de travailler plus longtemps, et donc de mieux atténuer et de réduire le diacétyl. En contrepartie d’un résultat plus «propre», la clarification est plus compliquée. Exemples : US-05, American Ale, California Ale.

Dans le cas des lagers, une caractéristique est l’absence de levures en surface, d’où le terme fermentation basse. Il semblerait que les cellules de S. pastorianus soit nettement moins hydrophobes ce qui limite leur interaction avec les bulles de CO2. Les agrégats coulent et se retrouvent rapidement en fond de fermenteur.

Il est temps d'arrêter sur le sujet de la floculation.

Si vous voulez continuer à creuser, je vous mets quelques références plus bas.

Mais c'est peut-être aussi l'occasion de dézoomer et de regarder le paysage avec un peu plus de recul. Dans cet article, on a parlé de fermentation haute, fermentation basse. Lagers et ales.
Des termes qui reviennent souvent, partout, et qui sont une source de confusion. On essaye de tirer au clair tout ça dans un autre article :


Références

Des papiers intéressants pour creuser le sujet.