Joliebulle, c'est aussi un p'tit livre de recettes qui vient de sortir.

Document de travail préliminaire. Le traitement de l'eau.

#développement
2021-01-01 (dernière édition)

Je reproduis ici, pour mémoire, le document de travail que j’ai rédigé et qui a servi de base pour le développement d’un outil de traitement de l’eau dans Joliebulle. Il n’est pas exhaustif, et il ne s’agit pas d’un document de référence sur le sujet : tout ça a été rédigé rapidement, dans un style relâché, avec simplement la volonté d’expliquer le contexte général dans lequel le développement s’est déroulé. Comme le document s’est avéré plus utile et cité que prévu, je le reproduis ici.

Je ne vais pas reprendre les bases de la chimie de l’eau ni même les explications sur l’intérêt du traitement pour les brasseurs. Si le sujet t’intéresse mais que tu ne sais pas par où commencer, je te conseille la lecture de ce post sur le forum brassageamateur.com qui apporte toutes les bases utiles :

BrassageAmateur.com * Afficher le sujet - Introduction au traitement de l’eau de brassage

Pour creuser un peu plus, ce bouquin est un bon point de départ :

Water

Petit rappel des faits :

  • sans correction ou traitement, les caractéristiques de l’eau conditionnent les types de bières qui peuvent être brassées de façon optimale.
  • Le pH du mélange eau + grain pendant le brassage doit se situer dans un intervalle de pH donné pour des considérations de fermentabilité, de goût et d’apparence.
  • Les céréales colorées ont, en gros, un rôle acidifiant.
  • Le pH du mélange eau + grain dépend des caractéristiques de l’eau et de la composition du mélange de grains.

On passe dans le vif du sujet.

Quel est l’intérêt d’un outil de traitement de l’eau ? Plusieurs cas de figure :

  • tenter de prévoir le pH du mélange eau + grain à l’empâtage.
  • corriger l’eau utilisée par des ajouts de sels et/ou acides .
  • construire un profil d’eau en partant de zéro (à partir d’une eau osmosée par exemple).

Quels sont les outils existants ?

Il existe 4 feuilles de calcul d’usage courant :

A noter également, le calculateur du site Brewer’s Friend. Si j’ai bien suivi, Kai Troester a été directement impliqué dans sa conception et l’outil représenterait la synthèse la plus récente (c-à-d 2013 je pense) de ses travaux.

Sur quelles données les modèles se basent-ils ?

Les outils cités plus haut se basent tous sur un jeu de données publiées par Kai Troester en 2009.

Le papier original est à lire ici :

effect_of_water_and_grist_on_mash_pH.pdf

KT a mené une série de mesures de pH sur des échantillons d’empâtage et a ainsi pu tester de multiples malts.

Il existe d’autres expérimentations du même type, mais elles sont rares et les données ne sont pas forcément concordantes.

Les 4 feuilles de calculs sont donc parties des mêmes résultats expérimentaux, et ont développé des modèles différents pour réaliser le calcul du pH. A ce stade il existe donc un lien de parenté très fort entre tous les outils existants, qui n’existeraient pas sans le travail de KT.

Comment sont réalisés les calculs ?

Les étapes sont globalement les mêmes :

  • déterminer l’alkalinité résiduelle de l’eau de départ
  • déterminer le pH en eau distillé du mélange de céréales
  • à partir de ces deux calculs, déterminer le pH du mélange eau + céréales
  • recalcul de l’alkalinité résiduelle selon les éventuels dilutions, ajouts de sels minéraux ou d’acides.

Je ne m’attarde pas sur le calcul de l’alkalinité résiduelle. Il existe deux équations, celle de Kolbach qui est largement utilisée et ancienne, et une révision plus récente par KT.

pH en eau distillé

Le calcul du pH en eau distillé est plus critique.

Le principe général est similaire : l’acidité, en moyenne, augmente avec la coloration de la céréale.

EZ Water, Bru’n et MPH ont ensuite essayé de déterminer la “pente” de l’évolution de l’acidité en fonction de la couleur par sous-type de céréale : malts de base, Crystal et torréfiés. Les méthodes et les hypothèses de départ diffèrent, et du coup les équations sont aussi assez différentes.

Tout ça est très bien synthétisé par Mark Riffe dans une série d’articles particulièrement bien documentés. A lire par là :

A Homebrewing Perspective on Mash pH I: The Grain Bill

Pour ce groupe d’outils, je pense que l’approche retenue dans MpH est la plus solidement étayée et peut être considérée comme une référence dans l’état actuel des choses.

Le calculateur de KT se démarque par une approche différente, que je trouve très séduisante. KT fait diminuer de façon linéaire le pH en fonction de la couleur de la bière sauf en cas d’utilisation d’un malt de type torréfié (les Black Patent, Chocolate et compagnie). Pour ces types de malts, les données de KT ont montré que l’acidité de ces malts est indépendantes de leur couleur.

Et donc au final, le calculateur de KT prend juste deux paramètres pour déterminer le pH du mélange de grains : la couleur de la bière, et la contribution des malts torréfiés à la couleur finale (en %).

Mark Riffe, dans l’article que j’ai déjà cité plus haut a pris le célèbre bouquin de recettes de Palmer pour comparer les résultats des différentes feuilles de calculs sur une grande variété de recettes. Tu devrais vraiment lire cet article. Je reproduis ici un graphique de résultats :

Evolution du pH selon la couleur grain

Je te propose de regarder dans un premier temps la partie haute du graphique, celle qui comporte les résultats des recettes sans malts torréfiés.

Sans surprise, les résultats de Kaiser Water sont linéaires et fonctions de la couleur de la bière uniquement. Ce n’est pas le cas pour les autres calculateurs, qui prennent en compte les différentes variétés de grains.

Sans parler de ces différences de variabilité, on voit que la courbe de Kaiser Water est très décalée vers le bas. C’est la conséquence de choix différents : KT part de l’hypothèse qu’un malt virtuellement à 0 °L donnera un pH à 5.6, tandis que les autres partent d’une valeur de base de 5.7 ou 5.75.

Comme Mark Riffe le fait remarquer, si on ajuste les résultats de Kaiser Water avec une valeur de base de 5.7 les résultats deviennent très proches.

Comme KT justifie son choix par des mesures expérimentales, et que tout le reste des calculs se fonde sur ses autres mesures, je trouve assez logique de mon côté de rester cohérent, et de partir sur la même base.

Par ailleurs, je trouve avantageux d’avoir des résultats légèrement optimiste sur le plan de l’acidification plutôt que l’inverse, et je t’explique plus bas pourquoi.

Je suis plus embêté par l’écart grandissant entre les résultats de Kaiser Water et les autres au fur et à mesure de la montée des SRM. La courbe de KW diverge de plus en plus des autres. Mais ça peut s’expliquer, et se corriger, je t’en reparle aussi plus bas.

Mark Riffe dans son analyse des données part du postulat que les 3 autres feuilles de calcul sont plus précises que KW. Je ne suis que partiellement d’accord.

Si on reprend les résultats des mesures des échantillons et KT, et que l’on compare aussi avec d’autres expériences similaires, tout le monde s’accorde à dire que pour les malts de base la corrélation couleur-acidité est très faible, et que l’acidité de la céréale varie énormément en fonction du céréalier, de la récolte et des process dans le maltage. Du coup, en situation réelle, on peut s’attendre à de gros écarts de mesures. Dans ce contexte, sur-optimiser la prévision du PH me semble contre-productif.

Par nature, KW va donner un résultat moyen tout le temps, et à mon avis fournir une base intéressante pour débuter la correction de son eau.

En comparaison les autres calculateurs vont en moyenne donner un résultat précis plus fréquemment. Mais cette moyenne là n’est pas très intéressante. Pour reprendre une analogie de N. N. Taleb, quand tu te prépares à traverser une rivière à pied, savoir qu’elle fait 1,10m de profondeur en moyenne ne sert à rien. Ce sont les valeurs extrêmes qui nous intéressent (le trou de 3 m de profondeur au milieu de la rivière), parce que c’est là que tu vas te planter.

De la même façon, dans le monde du brassage, la formule de Tinseth pour prédire les IBUs est largement utilisée non pas grâce à sa précision (ce qu’elle n’est pas) mais parce qu’elle fournit une bonne base prévisible et qu’on connait bien ses limites.

Si je te proposais une formule alternative beaucoup plus précise en moyenne mais qui se plante dans 30% des cas de 40 IBU, tu n’en voudrais pas et je te comprends.

On peut attaquer le problème par un autre angle : la diversité des malts fait que si tu veux traiter efficacement ton eau il va falloir faire des mesures réelles, pour chaque recette, et ajuster au cas par cas. La prévision du logiciel ne suffira pas.

Du coup je trouve intéressant de partir d’une hypothèse optimiste pour l’acidification, qui conduira plus fréquemment à une sous-correction (et qui évitera une sur-correction). Je vois le process ainsi : formulation de la recette -> estimation du pH -> correction de l’acidité -> brassage & mesure du pH -> ajustement de la correction de l’acidité au prochain brassage.

Dans Joliebulle

Pour Joliebulle j’ai dû faire des choix.

Et j’ai opté

  • pour une approche “linéaire” à la Kaiser Water
  • pour une évaluation optimiste de l’acidification en eau distillé en conservant le pH de départ à 5,6.
  • pour une correction de la formule de KT pour aplatir la pente de la diminution du pH en fonction de la couleur. J’ai procédé à peu près de même dans le cas des ajouts de grains torréfiés.

Déterminer le % de couleur d’un grain torréfié

C’est une valeur qu’il faudra entrer manuellement dans le calculateur.

Le calcul est trivial.

Une recette imaginaire contient 2% de Black Patent à 1000 EBC, du pils à 4 EBC, du Crystal à 120 EBC. La contribution du Black va être de 0,02 x 1000 / (%pils * 4 EBC + %crystal *120 EBC).

Je vais intégrer le calcul directement dans Joliebulle, ce qui va faciliter la tâche.

Le pourcentage de grains torréfiés

Eau + grains

Pour référence, je te renvoie à un second article de Mark Riffe.

A Homebrewing Perspective on Mash pH II: Water

Le pH du mélange eau + grain à l’empâtage va dépendre de 3 facteurs :

  • le pH en eau distillé (on vient d’en parler)
  • l’alkalinité résiduelle de l’eau utilisée
  • un facteur Sra exprimé en L/mEq qui va déterminer la façon dont va évoluer le pH de la maische en fonction de la quantité d’eau à l’empâtage.

Mark Riffe propose une analyse des calculs réalisés dans les différents outils dont je t’ai parlé plus haut. Il propose également sa propre équation pour déterminer Sra en fonction du ratio d’empâtage. Je trouve ce travail très pertinent, et je reprends donc l’équation telle quelle.

A noter, cette équation va donner une estimation du pH sensiblement plus élevée que pour les autres outils, ce qui compense partiellement mon parti pris pour l’estimation du pH en eau distillée.

Contrôle de l’alkalinité

Rien de très intéressant ici. La dilution ou les ajouts de sels et acide sont traités de façon consensuelle par Joliebulle.

A noter, l’ajout de malt acide modifie la couleur finale, le ratio d’empâtage, et la quantité totale de grains. Sauf erreur de ma part, ce n’est pas pris en compte dans les outils que j’ai eu l’occasion d’essayer, qui traitent ces ajouts de façon indépendante comme un simple ajout d’acide.

Pour terminer, je ne prends pas en compte la possibilité de l’ébullition pour modifier l’eau de départ. Je l’ajouterai si il y a une demande.

Au cours de l’ébullition, le calcium réagit avec le bicarbonate et précipite en carbonate de calcium. La réaction se poursuit jusqu’à ce qu’il reste environ 1 mEq de Ca ou 1 mEq d’HCO3, c’est-à-dire respectivement 20 et 61ppm.

J’ai vu plusieurs calculateurs en ligne qui se prennent les pieds dans le tapis, et poursuivent la réaction jusqu’à 0 ppm de calcium, ce qui ne se produira pas. A manier avec circonspection, donc.