Joliebulle, c'est aussi un p'tit livre de recettes qui vient de sortir.

Ce qui influence la densité finale

2020-03-21

Ce matin, je me suis mis au travail confiant.

Objectif : développer une nouvelle fonctionnalité pour Joliebulle, la correction de la densité finale en fonction de la température de l’empâtage.

Au fil des années j’ai reçu quelques demandes pour cette optimisation et j’ai donc collecté une petite bibliographie sur le sujet.

Petite, car comme souvent quand on parle d’expérimentations dans le domaine du brassage artisanal les données sont peu nombreuses, les protocoles médiocres, la réplicabilité douteuse, et l’analyse statistique est erronée.

J’ai donc repris tout ça, avec l’idée d’en faire une synthèse.

J’ai une mauvaise nouvelle.

Ça ne va pas être possible.

L’atténuation et donc la densité finale dépendent d’une multitude de facteur que je vais diviser en 3 sous-parties.

Avant ça, je me permets un bref petit rappel.

Pendant la phase d’empâtage, des enzymes vont s’activer et transformer l’amidon en sucres plus simple. Selon la plage de température, certaines enzymes vont s’activer ou se désactiver, et les sucres produits ne seront pas exactement les mêmes.

A haute température, les α-Amylases vont produire des dextrines, qui ne sont pas consommables par les levures, ce qui va entrainer une DF plus haute. Je te mets ce schéma de Palmer, qui a beaucoup circulé parmi les brasseurs amateurs :

temperature et fermentabilite

Intéressant, la principale limite étant que je ne connais pas l’origine des données et le protocole expérimental et que parmi toutes les autres études que j’ai pu croiser sur le sujet aucune ne retrouve ce déclin de la fermentabilité à 66–67°C.

Mise à jour de juin 2022
Depuis la publication de cet article il y a 2 ans, j'ai pas mal creusé le sujet.
Je peux vous confirmer que ni Palmer ni Narziss n'ont participé à ce graphique.
C'est l'oeuvre d'un obscur blogueur, qui a compilé plusieurs sources. Manifestement les données d'origine ont été mal digérées / mal comprises par l'auteur.
Pour des sources de qualité, reportez-vous à Kai Troester (voir plus bas) et aux références qu'il utilise.

Une autre source bien intéressante reste Kai Troester : Effects of mash parameters on fermentability and efficiency in single infusion mashing. On en reparle plus bas.

Mais utiliser la température comme facteur prédictif de l’atténuation ne fonctionne pas , car il s’agit d’un billard à trois bandes.

Les céréales

Le mélange de céréales va influer sur la DF.

La cuisson des sucres des malts de type Crystal ou des malts torréfiés (malt Chocolat par exemple), va générer une réaction de Maillard et des sous-produits peu ou pas fermentables.

D’autres malts comme le Carapils contiennent une bonne dose de dextrines, qui vont limiter la fermentabilité.

A l’autre bout du spectre, des ajouts de sucres simples type dextrose ou glucose vont favoriser une forte atténuation.

En théorie, une analyse précise des spécifications des malts utilisés permettrait de s’approcher d’une prévision de l’atténuation limite du moût, mais le passage à la pratique pose des problèmes et surtout ne permet pas de mitiger les autres points.

L’empâtage

La température : Les résultats de Kai Troester, qui me semblent être les plus fiables dans le domaine montrent que la fermentabilité maximale se situe dans la fourchette 63–68°C. Après, la limite d’atténuation décroit de 4% par °C supplémentaire.

Mais ce ne sont pas les seuls résultats à retenir.

Il y a aussi la durée : en passant d’un palier de 30 minutes à 90 minutes, la limite d’atténuation augmente de 5–6%.

Le pH : les données de Troester et de Narziss concordent pour montrer un optimum vers une fourchette de pH 5.4–5.6, avec probablement une bonne tolérance jusque 5.7–5.8. En dessous et au-delà, l’atténuation limite dégringole : -10% avec un ph à 5 par exemple.

La levure

C’est elle qui va faire le boulot, et elle a évidemment son importance.

Les levures vont se retrouver face à :

  • des dextrines, qu’elles ne vont pas savoir utiliser pour la fermentation.
  • des sucres simples : glucose, fructose, saccharose et maltose. Les levures vont les consommer intégralement.
  • du maltotriose, un trisaccharide. Il sera plus ou moins consommé, selon la souche de levure.

La capacité des levures à atténuer jusqu’au bout dépendra aussi de leur bonne santé, mais aussi de conditions environnementales telles que la température ou le taux d’alcool.

La bonne santé des levures dépendra du taux d’ensemencement, de l’oxygénation et des nutriments.

Les laboratoires fournissent généralement une valeur d’atténuation, ou une plage de valeurs. Elle n’est pas gravée dans le marbre. Il s’agit d’un résultat expérimental, obtenu sur un moût «standard», avec des gros guillemets puisque la procédure n’est pas la même entre laboratoires.

Elle ne permet que de comparer les levures entre elles.

Tout ça se complique encore plus si on fait intervenir les levures testées STA1+, qui ne sont pas rares et qui ont la particularité de pouvoir consommer certaines dextrines…

Les deux solutions, et la mauvaise réponse

A ce stade, j’espère vous avoir convaincu : déterminer la DF ne va pas être possible en appliquant un simple facteur correcteur sur une atténuation «théorique» de la levure.

Au contraire, il faut prendre l’habitude de raisonner en limite d’atténuation.

Pour un brassin donné, quel va être le facteur limitant ?

La tolérance à l’alcool de la levure ? Le taux de dextrines apporté par les malts ? Le taux de dextrines généré par le process de brassage (durée, température, pH) ? La capacité de la levure à consommer le maltotriose ?

Il y a deux solution pour connaitre cette limite d’atténuation ou composer avec.

1° : La fermentation forcée ou test «fast ferment»

  • on prélève un échantillon du moût
  • on prélève de la levure
  • on ensemence très généreusement l’échantillon de moût
  • on oxygène sans rechigner
  • et on met tout ça au chaud et si possible sur un agitateur, pendant quelques jours.

La mesure d’atténuation sur votre échantillon donnera la valeur d’atténuation limite de votre brassin.

C’est un test facile, économique, qui va vous permettre de faire un bond dans la reproductibilité de vos brassins et dans l’amélioration de votre process.

2° : Travailler dans les règles de l’art

Une deuxième façon d’arrêter de se poser des questions sur la fin de fermentation, c’est simplement de travailler proprement en respectant les bonnes pratiques :

  • empâter autour de la température optimale
  • surveiller le pH
  • Assurer un bon taux d’ensemencement
  • Respecter une bonne viabilité des levures en préparant un starter
  • Respecter les températures de fermentation optimales

A partir de là, l’atténuation variera en fonction de la composition en céréales et de la souche de levure, mais vos brassins seront reproductibles et le risque de mauvaises surprises sera limité.

3° : La mauvaise idée

Au final la seule vraie mauvaise piste à retenir, c’est faire ce que je m’apprêtais à faire ce matin : ajouter une option dans le logiciel.

Difficile de résister. Ça m’aurait pris moins de temps que d’écrire cet article, j’aurais eu l’impression d’être productif, Joliebulle aurait pu arborer fièrement une fonctionnalité supplémentaire, et l’utilisateur aurait eu l’impression d’être aux commandes d’un logiciel sur-puissant capable de prédire l’avenir.

Nous, les développeurs, on est très doué pour ce genre de truc.

Mais c’est de la merde.

C’est bon pour l’égo, mais ça ne permet pas de mieux brasser.

Sur cette thématique particulière, mieux brasser ne signifie pas ajouter une option au logiciel. Il faut juste… mieux brasser. Appliquer les bonnes pratiques. Faire des tests. Et recommencer pour se perfectionner. La base quoi.

Amateurs de logiciels-sapins de Noël, passez votre chemin.
Bienvenue aux brasseurs !